Déforestation importée
La déforestation importée. Analyser sous un autre angle la déforestation hors du territoire.
En 2021, Greenpeace bloquait un entrepôt de soja dans le port de Saint-Nazaire (Loire Atlantique). Premier port d’importation de soja en France, le soja qui y est déchargé est principalement en provenance du Brésil et « sans aucune garantie ou traçabilité suffisante ».
Cette action entendait ainsi dénoncer “l’inaction coupable” du gouvernement ainsi que l’inefficacité de la SNDI : la Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée. Adoptée en 2018 et ayant pour objectif affiché de réduire le recours à la déforestation importée, « sa mise en œuvre est un échec car le gouvernement refuse de prendre des mesures juridiquement contraignantes et préfère miser, en dépit des leçons tirées ces dernières années, sur le bon-vouloir des entreprises » selon l’ONG.
La déforestation importée et ses enjeux
Dans un premier temps, il convient de rappeler ce qu’est la déforestation importée.
Comme définie par la SNDI, la déforestation importée “couvre l’importation de matières premières ou de produits transformés dont la production a contribué, directement ou indirectement, à la déforestation, à la dégradation des forêts ou à la conversion d’écosystèmes naturels en dehors du territoire national”.
Alors, en quoi la préservation des forêts et écosystèmes est un enjeu crucial ?
C’est un enjeu humain : les forêts sont le lieu d’habitation pour de nombreuses communautés humaines, et selon l’ONU, sont la source de revenu pour plus d’1,6 milliard de personnes. La déforestation favorise le développement de maladies infectieuses d’origine animale telles que la malaria ou Ebola.
La préservation des écosystèmes est aussi inévitablement un enjeu climatique : les arbres et forêts séquestrent le carbone, contribuant ainsi à atténuer le dérèglement climatique et réduire les événements climatiques extrêmes, filtrent l’eau et offrent une protection contre les inondations.
Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) 420 millions d’hectares de forêts (soit 10% des forêts du monde, supérieur à la superficie de l’UE) ont disparu entre 1990 et 2020.
Les écosystèmes complexes, barrières naturelles face aux conséquences du dérèglement climatique, sont détruits et remplacés par des monocultures comme des plantations de palmiers à huile (que l’on retrouve dans de nombreux produits alimentaires ou dans les carburants diesel par exemple)…
Nos modes d’alimentation et de consommations conduisent en effet directement à la déforestation. Cela bien au-delà des frontières françaises et européennes, à travers l’importation de biens et produits : les premières causes de déforestation sont ainsi la production agricole et l’élevage. Parmi les produits les plus nocifs pour les forêts se trouvent :
Le soja, dont la France importe 4,8 millions de tonnes par an, est destiné à nourrir le bétail français. Ainsi, la diversification de notre alimentation en protéines (graines, lentilles, haricots…), la réduction de consommation de produits animaux (la viande mais également les produits laitiers) et le choix de produits certifiés, contribuerait entre autres à amoindrir les importations de soja.
Outre le bétail français nourri au soja importé, la France importe 360 000 tonnes de bœuf et de cuir par an. Les forêts brésiliennes sont converties en pâturages pour les bovins, élevés intensivement pour leur chair, mais aussi leur lait et pour la production de cuir. Privilégier une viande française ou européenne et certifiée Agriculture biologique, limiter sa consommation de cuir (sacs, chaussures, vêtements) ou en consommer de seconde main participerait ainsi à réduire la déforestation, en jouant sur la demande et les comportements individuels.
Cependant, si les engagements de chacun.e, à son échelle, sont importants, l’échelle étatique voire interétatique n’en reste pas moins essentielle. En effet, coordonner les actions, mettre en place une stratégie et un plan de politiques publiques, afin de contraindre les individus, mais aussi les acteurs publics ou économiques comme les firmes transnationales permettraient de ne pas gaspiller les efforts et ne pas perdre de vue les objectifs.
La mise en place en France de la SNDI ou Stratégie Nationale de Lutte contre la Déforestation Importée
“L’objectif de cette stratégie est d’amener chaque acteur (producteurs, entreprises, investisseurs, consommateurs) à faire évoluer ses pratiques pour diminuer la déforestation”.
La France est le premier pays à proposer une telle stratégie. Adoptée le 14 novembre 2018, elle entend mettre fin en 2030 à l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables contribuant à la déforestation (cacao, hévéa, soja, huile de palme, bois et produits dérivés, et bœuf et co-produits). La SNDI a vocation à s’élargir à d’autres produits tels que maïs, colza, crevettes, coton, café, canne à sucre, produits miniers… comportant également des impacts écologiques conséquents.
Elle est structurée en 17 objectifs répartis en 5 orientations :
- Orientation 1 : Développer, partager et valoriser les connaissances
Orientation 2 : Développer des actions de lutte contre la déforestation importée dans le cadre de coopérations internationales
Orientation 3 : Intégrer la lutte contre la déforestation aux politiques publiques pour favoriser une demande française de produits durables
Orientation 4 : Favoriser et coordonner l’engagement des acteurs
Orientation 5 : Modalités de suivi de la SNDI pour garantir l’atteinte de ses objectifs
Plus précisément, les objectifs vont de la diminution significative de “l’incorporation de matières premières ayant un impact sur la déforestation dans les biocarburants” à “l’autonomie protéique de la France” en passant par la mise en oeuvre “d’une politique d’achats publics zéro déforestation d’ici 2022” ou encore l’amélioration “des contrôles pour lutter contre les fraudes”.
La SNDI ne peut être mise en œuvre unilatéralement par la France et inclut également : un dialogue international entre pays producteurs et consommateurs, la volonté d’inclure l’enjeu de la déforestation dans les accords commerciaux et de promouvoir la lutte contre la déforestation importée au niveau européen. La France tient ainsi à se positionner comme moteur à l’international et notamment au sein de l’UE.
« Quand les Européens consomment, les forêts se consument »
Le rapport de WWF “Quand les européens consomment les forêts se consument” permet de comprendre la part de responsabilité européenne non-négligeable dans la déforestation mondiale.
La France et ses voisins européens sont en effet les deuxièmes plus grands importateurs de déforestation tropicale dans le monde, représentant 16%, juste derrière la Chine et bien devant l’Inde et les Etats-Unis. Entre 1990 et 2008, l’UE à travers la consommation, serait responsable de 36 % de la déforestation liée au commerce mondial.
A noter que la part de responsabilité dans la déforestation est inégalement répartie. Ainsi, les 8 principales économies de l’UE (…) étaient entre 2005 et 2017 responsables de 80% de la déforestation importée au sein de l’Union.
Les failles et insuffisances de la SNDI
La création de la Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée apparaît alors comme une initiative nécessaire et pertinente. Cependant, de nombreuses ONG et associations en soulignent les limites, en dénoncent l’inefficacité voire son utilité de façade.
En effet, le premier aspect est le manque de contraintes visant les responsables directs de cette déforestation. La SNDI repose sur l’engagement volontaire des entreprises et acteurs commerciaux, qui sont rares à concéder le respect de cette stratégie. Cette faille est notamment soulignée par Sylvain Angerand, ingénieur forestier et coordinateur des campagnes de l’association Canopée Forêts vivantes dans un entretien à Reporterre. Il n’ya pas de clauses qui garantissent la non-déforestation dans les contrats.
Les firmes transnationales états-uniennes comme Bunge ou Cargill, ayant la main sur le marché mondial des matières premières agricoles refusent clairement d’établir des contrats avec des producteurs qui affichent ne plus acheter de soja issu de la déforestation ». D’autant plus que le gouvernement avance difficilement dans ce combat contre ces géants. Le ministère de la Transition écologique n’est pas aux commandes malgré son volontarisme souligne Sylvain Angerand.
En effet, “pour le cabinet d’Emmanuel Macron, la déforestation est un sujet de communication, mais pas un sujet politique, au sens de mise en cohérence des politiques publiques. Oui, il faut développer l’autonomie de la France en soja, mais cela n’est possible qu’à une condition : réduire de façon drastique notre consommation de viande – ce que ne veut pas assumer le ministère de l’Agriculture ou le gouvernement. Donc dire qu’on va continuer à consommer autant de viande industrielle et qu’on va relocaliser le soja en France, c’est un bête problème de mathématiques : il n’y a pas la surface nécessaire !”
Un manque de contrôle de la part des autorités publiques est également constaté. Si une plateforme d’observation a été mise en place (difficilement), elle n’est pas aboutie. L’objectif affiché est d’aider les consommateurs à choisir leurs produits et informer les entreprises sur leurs fournisseurs.
Cependant, les déclaration des marques y sont sans valeur et la plateforme devient un instrument de communication. Nestlé par exemple, qui déclare s’être engagé « à zéro déforestation tropicale, pour un approvisionnement non issu de déforestation » ne donne pas d’échéance à cette déclaration. Elle est ainsi obsolète, d’autant plus que lorsqu’en novembre 2020, il a été demandé à la firme transnationale de “mettre en place des clauses de non déforestation dans leurs contrats” elle a refusé de prendre cet engagement. “Et aujourd’hui ils paradent sur cette plateforme !” fustige Sylvain Angerand.
Combattre efficacement la déforestation importée
Pour combattre efficacement la déforestation importée à l’échelle européenne notamment, il faudrait, selon le rapport de WWF une nouvelle législation pour mettre un terme à la destruction des écosystèmes naturels, en soutenant les pays producteurs.
Cette nouvelle législation devra garantir les éléments suivants :
Sylvain Angerand estime qu’il y aurait besoin notamment de la réduction des flux de soja ainsi que des flux de soja plus “propres”. C’est un levier réalisable car le Brésil chiffre très bien : “à chaque cargo est relié un numéro fiscal associé au chargement de soja, auquel vous pouvez relier la dernière installation logistique par lequel il est passé et sa municipalité d’origine”.
Les cartes satellitaires du Brésil étant bien faites, et les données sur le taux de déforestation dans chaque municipalité précises, connaître le territoire d’origine des chargements permet d’associer chacun de ces derniers à un risque de déforestation.
Les données sont donc accessibles. Une stratégie de lutte contre cette déforestation importée se doit de veiller à les rendre visible : aux producteurs européens qui importent les biens, aux entreprises, aux acteurs individuels, aux consommateurs.
Une brochure a été mise à disposition par le gouvernement pour voir l’avancée des mesures de la SNDI et la réponse aux objectifs datée de juin 2022. L’état de progression des objectifs n’est pas forcément détaillé et les possibilités d’amélioration ne sont pas partagées mais cela permet néanmoins de suivre la mise en place de cette la SNDI. Si certains points comme la création du CSTF et la publication de rapports sont en bon état d’avancement, d’autres objectifs cruciaux sont encore loin d’être atteints.